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Hilary espérait ne pas être obligée de visiter la vieille ville de Fez en la déprimante compagnie de Miss Hetherington. Elle eut de la chance : il se trouva, en effet, que Mrs. Baker offrit à l’Anglaise de faire avec elle une excursion en voiture, invitation que Miss Hetherington, qui voyait ses fonds baisser de façon alarmante, accepta avec empressement quand l’Américaine eut précisé qu’elle prenait tous les frais à sa charge.
Pourvue d’un guide par les soins de l’hôtel, Hilary se mit en route pour une visite qu’elle était ravie de faire seule. Franchie la porte du vieux Fez, elle eut l’impression de pénétrer dans un autre univers. Autour d’elle elle sentait vivre la cité mauresque, affairée et secrète. Flânant dans les petites rues sinueuses, qui grouillaient d’une foule bruyante et bariolée, elle oubliait le drame qui venait de bouleverser son existence et, conquise par le pittoresque d’un spectacle dont elle ne voulait rien perdre, il lui semblait se promener dans un monde de rêve. Une seule ombre au tableau : l’incessant bavardage de son guide, qui tenait absolument à la faire entrer dans des boutiques diverses où elle jugeait n’avoir rien à faire.
— Cet homme, madame, il a de très jolies choses à vous montrer ! Anciennes et pas cher. Il a aussi des robes et des tissus de soie. Vous aimez les perles ?
Mais il eût fallu plus que cela pour gâter à Hilary le plaisir de sa promenade. Il y avait longtemps qu’elle était « perdue », ne sachant guère dans quelle direction elle marchait, incapable même de dire si elle ne se retrouvait pas dans une rue qu’elle avait déjà parcourue peu auparavant. Elle commençait à se sentir fatiguée quand son guide lui fit une dernière suggestion, qui faisait évidemment partie de son programme ordinaire.
— Voulez-vous, maintenant, que je vous conduise dans une très belle maison, où vous boirez du thé à la menthe ? Ce sont des amis à moi et ils ont de très jolies choses à vous faire voir.
Elle devina qu’il s’agissait de cette auberge-salon de thé, dont Mrs. Baker lui avait parlé. Malgré cela, elle accepta, tout en se promettant de revenir le lendemain, mais cette fois sans guide, pour vagabonder à sa fantaisie dans les rues du vieux Fez. Ils franchirent une grille et, suivant un sentier qui s’élevait rapidement, se trouvèrent bientôt sur une colline, à l’extérieur des murs de la vieille cité. Ils arrivèrent enfin à une très belle maison, entourée de jardins immenses.
Hilary s’assit dans une vaste pièce, d’où le regard découvrait la ville tout entière. On ne tarda pas à lui apporter une tasse de thé à la menthe. Pour elle, qui ne sucrait jamais son thé, absorber ce breuvage était une épreuve pénible. Pourtant, en se disant que ce n’était pas du thé qu’elle buvait, mais une sorte de limonade inconnue, elle la supporta honorablement. Elle prit ensuite un certain plaisir à voir défiler sous ses yeux les tapis, les soieries et les colliers qu’on avait à lui montrer. Elle fit même quelques menus achats, par simple politesse.
— Maintenant, lui dit alors son guide, décidément infatigable, nous allons faire en voiture une courte promenade d’une heure. Vous verrez des paysages magnifiques et, après, nous rentrerons à l’hôtel.
Puis, baissant pudiquement les yeux, il ajouta :
— Auparavant, cette jeune fille va vous conduire aux toilettes. Elles sont très jolies.
La jeune fille qui avait servi le thé attendait Hilary. Souriante, elle dit, en un anglais correct, mais laborieux :
— Si vous voulez bien me suivre. Nos toilettes sont en effet, fort jolies. Aussi belles qu’à New York ou à Chicago. Vous verrez !
Amusée et dissimulant un sourire, Hilary suivit la jeune fille. Le guide avait exagéré assez sensiblement, mais l’installation était honnête : il y avait l’eau courante. Hilary se lava les mains et, jugeant la serviette de l’établissement d’une propreté douteuse, les essuya avec son mouchoir.
Après quoi, elle alla à la porte et constata avec surprise qu’il lui était impossible de l’ouvrir. Elle secoua vainement la poignée. Se pouvait-il que quelqu’un eût fermé la porte de l’extérieur ? L’idée lui parut absurde. Regardant autour d’elle, elle s’aperçut qu’il y avait une autre porte. Celle-ci se laissa ouvrir sans résistance. Hilary la franchit et se trouva dans une petite pièce, meublée à l’orientale et éclairée seulement par de longues fentes, percées très haut dans le mur.
Sur un divan bas, un homme était assis, qui fumait. Elle reconnut le petit Français qu’elle avait rencontré dans le train, M. Henri Laurier.